du 23/03/2004

 


 


Alexis Hunot : Vous avez collaboré au premier Shrek (storyboard, dialogues, voix). Avez-vous été surpris par le formidable succès du film aussi bien au niveau des critiques que du public ?

Conrad Vernon. : Oui j'ai été très surpris ! Quand vous finissez un film, vous avez l'impression d'avoir fait un bon travail, mais bien sûr vous ne pouvez pas savoir ce que ça va donner au box-office ou comment le public va apprécier. On avait bien sûr un certain espoir, mais nous n'aurions pas été déçus si le film n'avait pas marché. D'un seul coup ça a été comme un raz-de-marée, personne ne se doutait que ça allait aussi bien fonctionner, en tout cas pas moi ! C'était incroyable, et la remise de l'Oscar était un moment magique.

A.H. : Shrek 2 n'est pas votre première réalisation. Vous avez fait un court : Morto le magicien, écrit par Steve Martin. Pouvez-vous nous en parler un petit peu ?

C.V. : Lorsque Dreamworks a décidé de lancer un site de divertissement sur Internet (www.pop.com), ils ont demandé à des réalisateurs de la société de réaliser des courts-métrages d'après les scénarios écrits par des comédiens connus. Leur durée allait de 30 secondes à 2 minutes. Steve Martin est arrivé avec un scénario d'une page et demi, une idée qu'il voulait d'abord faire en sketch dans une émission télé, puis, pensant que l'animation conviendrait mieux il l'a amené à Dreamworks. Et c'est moi qui ait eu la chance de le réaliser. C'était très amusant de travailler avec Steve Martin, il est l'un de mes héros. On a beaucoup parlé, j'ai storyboardé son scénario, je lui ai envoyé, il a eu de nouvelles idées, moi aussi, on l'a retravaillé et on a fait ce que l'on fait avec tous nos long métrage à Dreamworks : une animatic. Enfin, nous avons travaillé avec une compagnie qui a fait l'animation en flash. Cela a été un travail très amusant et très enrichissant.

A.H. : Dans Shrek 2, Shrek affronte un danger encore plus terrible que le Dragon : les parents de Fiona. Est-ce qu'il a été difficile pour vous de trouver un point de départ pour ce film tant attendu ?

C.V. : Comme nous l'avons souvent dit dans les interviews, nous avons marié Shrek et Fiona à la fin du premier opus. Evidemment c'était un événement très important dans la vie des protagonistes. Quand nous avons réfléchi au scénario de Shrek 2 nous nous sommes tous demandé ce que l'on pouvait imaginer pour la suite. Et la logique veut qu'après le mariage vient la rencontre avec les beaux-parents. Dans cet épisode, Shrek revient avec une conception de la vie complètement différente : il veut construire une relation durable, il veut aussi impressionner les parents de Fiona, et il est difficile pour lui de ne pas être accepté parce qu'il est un ogre. Pour nous cela suit naturellement la progression psychologique de Shrek.

A.H. : Mais en plus des changements au niveau des personnages que l'on connaît, beaucoup de nouveaux personnages apparaissent dans le film...

C.V. : En effet, car si l'on apprend a connaître les héros dans le premier, il est amusant de prendre ces personnages et de les installer dans des situations complètement différentes, et bien sur de les confronter à de nouveaux protagonistes, pour voir comment ils vont réagir. Donc en plus des parents de Fiona, on découvre Puss in Boots (Le chat botté) et plein de nouveaux personnages que tout le monde devrait aimer.

A.H. : Et bien sur pour donner vie à tous ces personnages, vous avez une série d'acteurs incroyables…

C.V. : En effet on retrouve Mike Myers, Eddie Murphy, Cameron Diaz, qui étaient déjà dans le premier, et pour les nouveaux personnages : John Cleese (des Monty Python), et Julie Andrews (la fameuse Mary Poppins) interprètent les parents de Fiona. Ruppert Everet (Le mariage de mon meilleur ami) fait la voix du Prince Charmant, et bien sûr Antonio Banderas campe le Chat Botté.

A.H. : John Cleese a dit que cela avait été un plaisir de travailler sur Shrek 2 car vous saviez exactement ce que vous vouliez tout en laissant une place à l'improvisation…

C.V. : Cela a effectivement été un réel plaisir de travailler avec tous ces acteurs. Nous sommes arrivés avec une grande préparation, et bien sûr cela nous a beaucoup aidé en rentrant dans le studio d'enregistrement. Tous ont donné le meilleur d'eux même pour la réussite de leur personnage. Nous sommes arrivés avec beaucoup de dessins, de cette manière nous pouvions décrire tant qu'ils le désiraient les séquences dans lesquelles leurs personnages étaient impliqués . On les a laissé un peu improviser : Julie Andrews a eu une idée, avec John Cleese elle a improvisé une scène qui s'est avérée très réussie. Ce qui est essentiel, c'est d'instaurer un environnement dans lequel ils se sentent le plus libre possible afin que leur créativité puisse s'exprimer.

A.H. : A un moment de l'histoire le miroir magique se transforme en télé. Pensez-vous avoir amené davantage d'ironie dans le second épisode ?

C.V. : Oui absolument, je pense qu'il y a plus d'ironie, de satire, notamment grâce aux différent artistes impliqués : nous avons ainsi amené le film à un nouveau stade.

A.H. : D'ailleurs Joe Stillman (Beavis and Butthead) est encore au générique de Shrek 2

C.V : Le travail de Joe nous aide surtout au niveau des dialogues. Lors des réunions il est là pour nous dire sur certains dialogues " Il y a une manière plus claire de dire telle ou telle chose, ou au contraire plus tordue ". Il prend le script et réussit à rendre les dialogues plus mordants, plus claquants. Il a le recul nécessaire pour nous dire dans telle scène ou tel dialogue " Je ne comprends pas la motivation de ce personnage ". Pour cette raison nous avons besoin de ses précieux conseils.

A.H. : Le premier Shrek était une véritable avancée au niveau des techniques d'animation par ordinateur, peut-on dire que Shrek 2 va " encore plus loin " ?

C.V. : Tout à fait, Shrek 2 va plus loin grâce à l'équipe de Pacific Data Images qui a créé de nouveaux programmes et amélioré ceux qui avaient été utilisés pour le premier Shrek. D'ailleurs quand vous regardez le monde de Shrek dans ce film c'est tout simplement incroyable, les détails sont plus recherchés, les couleurs plus subtiles et tout cela permet de donner une dimension réaliste à ce monde fantastique. Le matériau du château est très riche, la façon dont les couleurs et les ombres s'entrecroisent est tout simplement incroyable. C'est dur pour moi de mettre des mots sur cela. Les gens vont sentir une vraie différence. Mais vous savez on dit que lorsque les effets spéciaux sont réussis on ne remarque rien. Et je crois que c'est ce qui a été réussi dans ce film. Les spectateurs vont encore plus rentrer dans l'histoire, apprécier les personnages, car l'univers est plus réaliste : ils ne le verront peut-être pas à l'écran mais ils le ressentiront. C'est absolument incroyable ce qu'ils ont réussi à PDI. Lorsque Kelly, Andrew et moi regardions les nouveaux essais chaque jour, nous étions médusés !

A.H. : Justement, maintenant que l'animation par ordinateur est arrivée à un tel achèvement technique, et à un tel succès public (Shrek, Nemo…), pensez-vous que l'on peut tirer un trait sur les longs métrages en animation traditionnelle ?

C.V. : Non. J'aime penser que l'animation par ordinateur est un nouveau médium. C'est comme si l'on disait que la peinture à l'huile allait être supprimée au profit de celle par ordinateur ! Bien sûr il y une mode pour la 3D en ce moment. Mais j'aime tellement la 2D ! D'ailleurs, en voyant Les Triplettes de Belleville, film que j'adore, je me suis dit qu'il était impossible que la 2D soit morte : c'est juste une manière différente d'exprimer une idée, de faire un film. Vous savez, si vous regardez l'histoire du cinéma d'animation il y a toujours eu des techniques à la mode et d'autres non , puis la tendance s'est inversée. Les gens ne sont revenus au cartoons qu'à la sortie de Roger Rabbit. Par la suite, de nombreuses séries et films ont été réalisés grâce aux techniques traditionnelles. Et là nous sommes revenus à un moment où la 2D n'est plus à la mode, mais il suffit qu'un film en 2D ait du succès pour que les studios y reviennent. Vous savez, les gens veulent voir des choses nouvelles, pas seulement en animation. Pour l'instant la 3D remplit ce besoin, notamment grâce au réalisme que l'ordinateur amène à l'animation et que le public n'avait jamais vu auparavant. Pourtant ce qui les attire vraiment au cinéma c'est l'histoire. Personne n'a envie de voir un film d'une heure et demi, ennuyeux ou pas, sous prétexte que la technique est nouvelle. Je ne sais pas si en France des séries comme les Powerpuff Girls (supers nanas) ou Samuraï Jack sont diffusées. C'est vraiment nouveau, le graphisme est très intéressant, les gens adorent vraiment et c'est de la 2D ! Je crois que lorsqu'il s'agit de la 2D il faut penser en d'autres termes que ceux du box office.

A.H. : Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de Shrek 3D ?

C.V. : Shrek 3D a été fait pour servir de pont entre le premier Shrek et le second, cela se déroule entre les deux films : c'est une attraction des studios Universals qu'il faut voir en relief car des objets volent un peu partout. On va le retrouver sur une édition spéciale en DVD (Ndr : le dvd sera vendu avec des lunettes pour voir en relief). Cela permettra quand Shrek 2 sortira en DVD de voir les 3 films en continu…

A.H. : Est-ce que, comme les rumeurs l'indiquent, la production de Shrek 3 est déjà commencée ?

C.V. : Non. Je ne sais pas exactement quels sont les rumeurs. Mais de toute façon s'il se fait je ne serai pas autant impliqué dans le troisième que dans les deux premiers.

A.H. : Vous êtes dialoguiste, storyboardeur, réalisateur, vous faites même des voix. Quelle est votre prochain challenge ?

C.V. : Je crois que je recherche toujours de nouveaux challenges. J'ai envie de réaliser des choses qui me parlent vraiment, que ce soit en prise de vue réelle, en animation, ou bien le mélange des deux. Je ne veux pas me perdre dans le medium que j'ai l'habitude d'utiliser. Je crois que j'aimerais retrouver une histoire qui me fasse avancer dans mon metier d'artiste.

A.H. : Merci.

 


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