Interview Toshi Suzuki - producteur des studios Ghibli

 

à Paris le 30 novembre 2004

 

 

Alexis Hunot : Cette année est particulièrement faste pour l’animation japonaise avec trois principaux auteurs qui ont sorti chacun un nouveau film, tous sélectionnés dans des festivals prestigieux (Cannes, Venise). Otomo Katsuhiro (Steamboy), Oshii Mamoru (Ghost in the shell2 : Innocence) et Miyazaki Hayao (Le Château Ambulant). Ghibli et vous-mêmes êtes au générique des deux derniers films. Est-ce que cela veut dire que vous devenez incontournable dans le paysage animé japonais ?

Toshio Suzuki : Pour l’instant peut-être, mais je sais que cela ne peut pas durer éternellement, donc pour le moment on est peut-être incontournable. Pour l’instant on est en accord avec ce que veut le public japonais, mais si on peut être populaire un jour, cela a une fin. Et je me prépare même à ce jour de manière à garder ma dignité. (rires)

A.H. : Cela veut-il dire que Ghibli est intimement lié à ces deux auteurs que sont Miyazaki et Takahata. D’autres réalisateurs font de bons films films pour Ghibli (Si tu tends l’oreille (Mimi o sumaseba), Le Royaume des chats (Neko no Ongaeshi)…) On a donc du mal à croire que Ghibli perde de son influence...

TS : Je pense que l’on ne retrouvera jamais des auteurs de talents comme le sont Miyazaki et Takahata. Ils sont exceptionnels !


Miyazaki Hayao & Suzuki Toshio

 

A.H. : Vous vous impliquez beaucoup dans le processus créatif des films que vous produisez. Pour Princesse Mononoke on voit dans le making-of du DVD sorti en France que vous avez fait changer la fin, et dans Ghost in the shell 2 vous avez proposé la chanson principale. Comment faites vous pour imposer vos choix tout en respectant l’auteur que vous avez en face de vous ?

TS : (rires) Je n’ai pas de respect pour ces auteurs. Car dès que j’ai du respect pour quelqu’un je ne peux pas travailler avec cette personne. (rires). Quant au making-of que vous avez vu il fait un peu moins d’une heure or le vrai fait 6h30, c’est cette version qu’il faudrait voir pour mieux comprendre la fabrication du film…

A.H. : Vous avez souvent eu des « problèmes » pour la durée des films de M. Miyazaki. Est-ce que vous avez eu des problèmes pour la durée du Château ambulant?

TS : Non, au contraire, c’est Miyazaki lui-même qui a souhaité que le film soit plus court. Moi je lui ai dit qu’il pouvait durer autant de temps qu'il voulait, c’est lui qui fait le travail, pas moi ! (rires). Si le film avait été plus long, la difficulté aurait pesé sur lui, pas sur moi !Pour Le voyage de Chihiro par exemple, je lui ai dit "Pourquoi ne pas faire durer le film trois heures ?" Mais bien sûr c’est Miyazaki lui-même qui a refusé !!

A.H. : Au départ ce n’est pas M. Miyazaki qui devait réaliser ce film…

TS : En effet Miyazaki pensait donner le film à un autre réalisateur mais cela n’a pas marché avec ce réalisateur, car ce dernier travaillait dans un autre studio et il ne s’est pas fait au système du studio Ghibli *. Et comme cela ne marchait pas avec lui on s’est demandé qui pouvait bien reprendre le film. On cherchait un autre réalisateur mais j’ai insisté pour que M. Miyazaki le réalise lui-même.

A.H. : Ce n’est pas une histoire originale, mais malgré le fait que le film soit tiré d’un roman anglais on sent énormément l’univers de Miyazaki : on retrouve des éléments qu’il y avait notamment dans Chihiro. Etait-ce le roman qui à la base était proche de son univers ou est-ce qu’il l’a changé pour que l’histoire s’adapte à son univers ?

TS : Ce n’est pas la première fois que Miyazaki n’utilise pas une histoire personnelle, il l'avait déjà fait cela avec Kiki, qui était aussi tiré d’un roman.

A.H. : Oui mais Kiki est un roman qu’il avait choisi, pas dans le cas présent ?

TS : Non pour Kiki ce n’est pas Miyazaki qui avait eu l’idée d’adapter le roman. Alors que pour Le Château Ambulant c’est lui qui a choisi le roman. Au départ il avait décidé d’arrêter la réalisation. S'il a finalement décidé de le réaliser c’est que deux points l’avaient particulièrement attiré dans le roman. Le premier c’est le château qui bouge, quelque chose qui normalement ne bouge pas qui bouge, quand même, c’était une idée qui lui plaisait beaucoup. Et en deuxième c’était le personnage principal : une jeune fille qui à la suite d’un maléfice devient une vieille grand mère. Il s’agissait pour lui d’un challenge : réussir à faire passer ce personnage de vieille dame de l’écrit au dessin, et surtout voir si ce personnage réussirait à tenir le film jusqu’à la fin. C’est ce challenge là qui l’a surtout intéressé !

A.H. : La plupart du temps, les héroïnes des films de Miyazaki sont plutôt jeunes, et c’est le passage de l’adolescence à l’age adulte qui le passionne. Pour une fois c ’est l’inverse ?

TS : En fait lorsqu’il a tout d’abord eu l’idée de faire un film basé sur ce roman, il a réuni tout le staff du studio et il a demandé à tout le monde : « Est-ce que l’on peut faire un film avec une vieille femme en tant qu’héroïne, est-ce faisable ? ». Et une fille du studio a répondu : « Moi je préfère que ça soit une vieille dame, parce que dans tous les films c’est toujours un jeune fille qui a le rôle principal ! »

A.H. : Pourtant l’héroïne ressemble étonnamment au personnage de Yubaba dans Chihiro. Ce n’était donc pas la première fois qu’un personnage important de vieille femme apparaissait dans un film de Miyazaki...

TS : Il y a toujours une vieille dame dans les films de Miyazaki. Yubaba dans Chihiro, Hii-Sama dans Mononoke, les grands-mères dans Kiki, Nausicaa ou Totoro. Mais il n y a qu’un seul modèle pour toutes ces femmes : la mère de Miyazaki. Il adorait sa mère qui est malheureusement décédée.

A.H. : Dans le film Sophie, après être devenue une vieille femme, passe par différents états physiques…

TS : En effet des fois lorsque vous parlez à quelqu’un il vous arrive de lui parler comme si vous aviez dix ans ou comme si vous êtiez plus âgé. Dans le film Sophie devient quelqu’un de différente selon son interlocuteur : elle peut devenir la mère d’un personnage, la femme d’un autre… Elle joue tous les rôles qu’une femme joue dans sa vie.

A.H. : Les prochains projets de Ghibli ?

TS : Un film pour les tout petits…

A.H.: Merci M. Suzuki

 

* Le réalisateur était : Mamoru Hosoda (Digimon) qui venait de la Toei. C’était la première fois qu’un réalisateur était engagé hors des studios.