interview isao takahata ghibli horus pompoko mes voisins les yamada


le 14/12/2003

 

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A.H. : Avez-vous été surpris lorsqu'on vous a annoncé la sortie d'Horus en France ?

IsaoTakahata. : Oui, très surpris.

A.H. : Visiblement vous avez contribué à amener une nouvelle forme de travail à la Toeï avec Horus, non seulement au niveau du sujet et du traitement, mais aussi au niveau de la technique, le storyboard a notamment été l'œuvre d'un seul artiste alors qu'avant c'était l'oeuvre de plusieurs artistes. Est-ce-que cela a été difficile à mettre en place ?

I.T. : Oui, écoutez, en ce qui concerne le travail du storyboard en tant que tel, il n'y a pas eu de nouveauté au sens strict. Qu'un storyboard soit l'œuvre d'une seule personne n'est pas quelque chose qui a été initié avec Horus. Par exemple sur les productions précédentes, Monsieur Sericara avait lui-même joué un rôle central dans le storyboard.

C'est quelque chose qui ne se trouve peut-être pas avant et donc qui est peut-être un peu différent de ce qui pouvait se pratiquer jusqu'à lors, et ça n'a pas forcément été adopté par la suite. S'il y avait quelque chose qui effectivement pouvait être mis en avant dans cette perspective c'est sans doute le degré de précision, de minutie du travail graphique du storyboard en terme de densité de l'image. Chaque dessin prenait en compte le moindre détail, le moindre coin de l'écran, mais vous savez que c'est une tendance qui par la suite s'est développée de façon importante dans la production japonaise ; et dans ce travail là en tout cas, ce qui nous importait avec ce document là, le storyboard, c'est réussir à transmettre tout ce qui est important, tout ce qui est décisif, non seulement concernant les personnages, mais également sur le cadre et l'écran en tant que tel, c'est-à-dire sur l'image. Les storyboards des films précédents étaient d'une forme beaucoup plus simple, beaucoup plus élémentaire, alors qu'en comparaison avec Horus, le storyboard permettait déjà d'avoir une idée presque exacte, précise, de ce que le film allait devenir par la suite.

A.H. : Est-ce-que tous les mouvements de caméra étaient déjà précisés dans le storyboard, est-ce-que tous les effets de réalisation étaient pensés à l'avance ?

I.T. : Il y a des mouvements de caméra qui étaient effectivement fixés au moment où on a travaillé sur le storyboard, d'autres qui ont été finalement conçus par la suite, puis il y a bien sûr des modifications qui sont intervenues dans la conception, dans la forme, de façon ultérieure, il y toute sorte de cas de figures. Le studio d'animation de Toeï en tant que société ne serait-ce que par l'importance de ses effectifs, du nombre des employés qui travaillent dans cette structure, a adopté naturellement une manière de travailler, des modalités de travail basées sur le partage du document du storyboard entre tous les membres de l'équipe du film. Il fallait donc reproduire ce document, or les techniques de reproduction de l'époque étaient d'un degré tel qu'il n'était pas possible d'avoir une reproduction fidèle qui ne soit pas de nature à faire perdre quelque chose de la forme, au niveau du détail de la plus grande finesse du trait. C'est la raison pour laquelle en tant qu'orientation générale, une forme de règle tacite du studio était d'achever une forme complète du storyboard avant de le reproduire et avant de le distribuer. Et donc dans la mesure du possible d'éviter d'avoir à retoucher quoi que ce soit dans ce document là.

Quant on considère un peu le travail du storyboard dans le monde, il s'agit d'un travail qui garde une certaine liberté, sur lequel on peut revenir et modifier des choses à son idée, y compris d'une façon plus tardive dans la production. Ca ne s"étznd pas forcément de façon aussi large alors qu'au Japon même s'il y a une forme de tradition. Et donc dans les travaux de H.Miyazaky ou les miens par la suite, on s'est efforcé d'achever une forme de storyboard la plus complète possible avec très peu de retouches ultérieurs. Bien sûr aujourd'hui les techniques d'impression ont considérablement évolué mais pour nous c'est quelque chose qui reste une habitude.

A.H. : Et en ce qui concerne Horus ?

Dans le cas de Horus cela n'a pas été possible de s'en tenir là, des modifications ultérieures ont été nécessaires en aval, il y a différentes raisons de circonstances : le fait qu'il ait fallu en cours de route essayer de trouver des modèles de représentation plus simples par contrainte, ou de devoir réfléchir à des méthodes de représentations qui diffèrent du dessin d'animation, qui ne passent pas par l'animation au sens strict du terme, donc il y a plusieurs endroits dans le film où il a fallu faire des modifications a posteriori.

Le storyboard de Horus a été publié au Japon. Vous le savez peut-être mais au Japon nous n'employons pas le terme de Storyboard, ce qui correspond à ce document en France et dans un certains nombres de pays occidentaux est désigné au Japon sous le terme de Egonte, qui se traduit par "continuité graphique". La raison pour laquelle nous au Japon nous avons toujours une réticence a utiliser le mot storyboard en tant que tel pour ce travail là, c'est que comme le terme même de storyboard l'indique, il s'agit de dessins qui, notamment chez Disney et dans un certain nombre d'autres studios, étaient voués à être affichés sur les murs et donc faire l'objet d'un travail éventuellement d'interversion des planches, où l'ordre lui même peut-être remis en cause et donc il y a une unité sur un board qui peut-être déplacée. Alors qu'au Japon si l'on utilise ce terme de "continuité graphique", c'est d'abord parce qu'il s'agissait pour nous de quelque chose qui était de l'ordre du découpage, et donc de créer un document où l'ordre lui-même est fixé et c'est cela qui est en jeu dans ce travail là de façon à ne plus avoir à penser à partir de ce moment là à des questions de variations dans l'ordre des plans. Ce document est donc d'abord un découpage mais qui intègre dans sa forme des indications qui couvrent des points relativement précis et de détail concernant l'acting, plus précisément les comportements qui sont en jeu.

A.H. : Les storyboards des films Ghibli sortent aussi bien sur papier qu'en dvd. Est-ce un choix qui vous intéresse et à votre avis est-ce que c'est un bon moyen de compréhension pour une approche du cinéma d'animation ?

I.T. : Pour moi je crois qu'en tant que réalisateur si on se pose la question de savoir s'il y a une nécessité d'aborder ce genre de chose en particulier pour les produits vidéo, on peut se dire que cela n'a absolument aucune nécessité. Ca relève simplement d'un calcul : on considère que ça ajoute une valeur à ces disques sans doute, et la raison c'est que tout simplement les circonstance font que le travail du storyboard pour ces produits là des films de H.Miyazaky ou le mien, est d'une grande densité d'un très grand détail, et d'une précision tout à fait importante, et la forme du storyboard est assez proche de la forme du film achevé. Mais pour moi il n'y aucune nécessité pour qu'un storyboard se soumette à ce type de caractéristique. Il se trouve tout simplement que dans mon outil de travail il y a cette proximité liée à des soucis tout d'abord d'ordre économique (par le fait d'induire des différences ou des changements). Mais pour vous donner une idée, le timing du storyboard n'est pas celui du film, donc dans les dvd ils changent le timing du storyboard de manière à le faire coïncider avec la forme achevée du film. Donc si c'est pour mieux appréhender l'animation c'est sous la forme imprimée en livre que le Storyboard peut avoir un sens.

A.H. : Est-ce que l'on peut dire que Horus est un manifeste d'une nouvelle animation japonaise ?

I.T. : Il y avait un certain nombre de choses que l'on souhaitait mettre en forme et c'est à ce moment là que s'est posé pour la première fois pour nous l'ensemble des questions qui se posent lorsqu'on réalise un tel projet. Et donc nous nous sommes lancés dans ce projet avec une ambition très haute et sans la moindre expérience correspondante. Vis à vis des productions précédentes du studio il y avait un certain nombre de points sur lesquels il y avait pour nous des frustrations, des points qui ne nous satisfaisaient pas et pour lesquels nous voulions aller de l'avant.

Personnnellement, je n'ai jamais insisté sur l'importance d'Horus dans le cinéma d'animation. C'est quelque chose qui a pu être rapporté, affirmé ici ou là au Japon. Mais ce n'est pas quelque chose qui relève de mon discours à moi. On peut le considérer comme un point de départ bien sûr, et c'est un fait que pour un certains nombres de gens par la suite dans le métier du cinéma d'animation au Japon c'est un film qui a son importance. Mais ce n'est pas dans mon discours, c'est un point de départ c'est clair mais on peut aussi relativiser cela car nombreux sont les travaux postérieurs qui eux aussi représentent des points de départ dans mon travail, qu'il s'agisse de Heidi ou de Panda ko Panda.

A.H. : Dans le texte que vous avez écrit sur M. Kotabe (notamment animateur clé d'Horus et du Tombeau des lucioles), vous vantez son style épuré. Pensez-vous que les nouvelles techniques développées aujourd'hui dans le cinéma d'animation et qui lui font gagné en hyper-réalisme, ne lui font pas finalement perdre ce qui faisait sa spécificité ?

I.T. : Sans doute il est préférable que je vous réponde sur ce point là de manière un peu plus développé. Quant il m'arrive de parler à des jeunes gens de cette époque là, en général je leur en parle de manière très approximative et d'habitude j'essaye de leur en parler en un mot très simple, et dans ces moments là j'utilise le terme de "Baroque". Vous le savez dans le domaine de la peinture : la peinture de la Renaissance, après être passée par une étape que l'on a l'habitude de désigner par le terme de maniérisme, entre dans l'époque que l'on nomme Baroque. Au fil de cette évolution dans le temps il y a effectivement sur le plan formel un certain nombre d'éléments qui relèvent d'une élévation notamment dans le domaine du réalisme avec un dessin plus fouillé, un travail plus précis au niveau des ombres et des lumières, toutes sortes d'acceptions pour dire qu'il y a un plus grand réalisme. Il n'empêche que l'on a l'habitude de considérer cette époque là se terminant sur une impasse, alors qu'en fait elle débouche sur l'exploration de nouvelles voies.

Je n'ai pas l'intention de comparer en terme d'importance ou de sens l'animation japonaise à la peinture occidentale, maisje pense que l'on peut en tirer quelque chose en terme de compréhension. Et donc ce que l'on peut dire en ce qui concerne l'évolution de la production de l'animation japonaise, on peut vouloir aller toujours plus loin dans cette perspective de réalisme toujours plus grand, c'est sans doute quelque chose qui est possible mais je crois que l'on est aussi dans une période où il serait nécessaire - et en tout cas souhaitable - d'essayer de trouver de nouvelles voies, de nouvelles formes et commencer quelque chose de neuf. Je crois, en tout cas que c'est une période qui le demande, alors pour que ce soit tout à fait clair, j'estime pour ma part que l'animation japonaise dans cette recherche d'un réalisme encore plus grand est dans une impasse est voué à finir dans une impasse.

C'est pourquoi effectivement par rapport au travail de M. Kotabe, j'ai voulu exprimer un certain nombre de choses au niveau de son trait qui est relativement beaucoup plus simple qu'énormément de choses que l'on veut mettre en forme aujourd'hui, mais c'est un trait qui dans sa simplicité même est chargé d'une énergie, d'une force qui me semble importante et intéressante dans le domaine du cinéma d'animation. Non seulement il apporte énormément au niveau des personnages, aussi bien au niveau du contenu de ce que l'on veut mettre en forme que des décors, ainsi que dans le domaine des arrière-plans. Et dans mon long métrage Nos voisins les Yamada, c'est un travail qui est lié à cette sensibilité, à cette conception qui est la mienne, et c'est parce que je ressentais les choses de manière forte en ce sens là que j'ai voulu travailler le film sous cette forme qu'est la sienne. Et si vous souhaitez utiliser le terme de "manifeste" je considère plus que ce peut-être considéré comme un manifeste. Il ne s'agit pas du tout d'être dans une logique de dire qu'il faut revenir à un tracé, à un dessin, entre autres celui de la B.D. qui serait dans la déformation, qui créerait une distance grâce à sa simplicité. Pour moi ce travail là prend ses distances par rapport à cette tendance du réalisme tout en laissant à ses personnages et à son univers un effet de réel.

A.H. : Justement dans le deuxième film de Panda ko Panda, vous réalisz une scène d'une très grande poésie ancrée dans un certain réel -la scène du train sous l'eau -.

I.T. : Je pense que là aussi c'est quelque chose qui peut-être placé en parallèle avec l'histoire des arts. Pour nous à l'époque où on y a travaillé, il ne s'agissait pas du tout de faire le choix d'une simplicité par rapport à une complexité supérieure qui aurait été accessible, à l'époque on a travaillé ce film avec l'ensemble des moyens qui étaient possible. L'idée était vraiment de dire que l'on faisait le maximum de ce qui était possible à l'époque. Maintenant si l'on reprend ces choses avec le parallèle que l'on faisait tout à l'heure, supposez que l'on soit aujourd'hui dans une période baroque, c'est sans doute prétentieux de vous le dire ainsi mais quand je revois ce film il me fait l'impression d'être dans une forme de classicisme, et donc une époque antérieure dans un découpage historique. C'est un film qui me paraît classique tout d'abord et en premier lieu dans mon parcours, dans l'évolution de mon travail, et c'est vrai que c'est aussi l'un des films sur lequel on a travaillé avec un certains nombres de compagnons de route que sont Messieurs Miyazaki, Kotabe, Otsuka, et c'est vrai qu'à y repenser maintenant je me dis que c'était une période particulièrement heureuse. Maintenant s'il s'agissait de se demander s'il était de possible de revenir à quelque chose de cet ordre là aujourd'hui cela me semblerait très difficile., dans une mesure qui peut être comparable à essayer de remonter dans l'histoire de l'art.

A.H. : Dans Panda ko Panda on retrouve l'un de vos sujets favoris :la famille, avec cette famille très surprenante, le papa Panda qui " adopte " cette petite fille qui elle même " adopte " le bébé panda, de même dans Chie la petite peste avec cette petite qui s'occupe du restaurant pendant que son père va jouer. C'est une manière pour vous de parler de la société japonaise, ou c'est un thème qui vous est particulièrement cher ?

I.T. : Plutôt que d'être dans une logique où il s'agirait de prendre un thème , une question comme sujet ou comme objet pour raconter quelque chose, moi ce qui m'importe de façon plus large c'est sans doute la vie, au sens de la vie que mènent les gens tous les jours avec ce que cela représente de sensibilité, ce que cela met en jeu comme sensibilité autour d'eux. C'est toujours une tendance importante en tant que création de se concentrer sur de thèmes comme la famille ou la nature, mais moi plus que ce genre de question c'est au fil de la réalisation que j'aborde certains éléments thématiques. La façon dont je peux considérer les différentes questions en vient à ressortir dans le film, car pour moi ce travail de réalisation ne consiste absolument pas à vouloir prendre un thème à bras le corps pour pouvoir affirmer une idée qui serait antérieure, qu'il s'agirait d'exprimer ou de mettre en avant ; c'est sans doute dans le travail du film qu'un certain nombre de choses qui relèvent de ma sensibilité ou de mes positions en viennent naturellement à se trouver intégrées.

Ma réponse peut vous paraître un peu abstraite et je peux donc vous donner quelques exemples. Pour Le Tombeau des lucioles c'est un film qui d'une façon assez large est quasi systématiquement pris pour un film pacifiste, contre la guerre. Moi ce qui m'importait dans ce film c'était avant tout de décrire ce qui était en jeu en terme de conséquences si on voulait décrire la vie de deux orphelins dans les circonstances de cette époque là. C'est là le principal de ce qui m'intéressait dans ce travail, je n'ai pas réalisé ce film parce que je voulais qu'il y ait quelque chose de l'ordre du pacifisme ce n'était pas le but premier, l'objectif de faire quelque chose contre la guerre. Sur un autre film qui est Pompoko, ce dont il traite de façon centrale c'est quelque chose qui relève de la culture japonaise , ce sont les Tanukis et ce qu'ils représentent au sein de la culture japonaise sur le plan des représentations , de la charge dans l'imaginaire japonais. Ce que je voulais décrire dans ce film, à supposer que ces animaux soient vraiment dotés des pouvoirs qu'on leur prête, c'est de voir quelles seraient les conséquences sur leurs vies et sur la façon dont les choses évoluent pour eux aujourd'hui, il s'agissait donc de prendre ce motif du Tanuki qui pour moi est passionnant, qui représente un intérêt en lui même dans toutes les variations . Par exemple le fait de décrire la façon dont ils se font finalement dérober leur milieu naturel est pour moi une conséquence inévitable à partir du moment où l'on décide d'essayer de décrire ce que peut-être leur vie.

A.H. : Une dernière question sur votre dernière et très surprenante réalisation, le segment dans Jours d'hiver. Comment vous-êtes vous engagé dans ce projet ? Ne seriez-vous pas tenté deréaliser davantage de courts-métrages ?

I.T. : Le problème c'est que le verset qui m'a été donné était particulièrement difficile, j'ai donc réfléchi longuement à la façon dont je pouvais le mettre en forme. Mais pour tout vous dire quand M. Kawamoto, l'initiateur de ce projet fou me l'a proposé, et devant le caractère démesuré de l'entreprise, je me suis lancé dans cette réalisation, mais pour l'avenir j'ai l'intention de continuer dans le domaine du long métrage.

A.H. : Merci Beaucoup.

Remerciements à Ilan Nguyên pour sa traduction et ses connaissances, à Diana Odile Lestage et Aurélie Lebrun du Forum des Images.

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