le 22/01/2004

 

 

 


A.H. : L'aventure de ce troisième long métrage semble particulièrement compliquée. Pourtant le succès du Château des Singes et le nombre de films en chantier au moment de la production de L'Île de Black Mór auraient dû vous aider...

Jean-François Laguionie : Non, ce n'est pas aussi simple. Je n'y connais pas grand chose en montage financier, mais je ne pense pas qu'il y ait de relation entre le succès d'un film et la réalisation du suivant. Pour Black Mór, il n'y a pas eu de chaînes de télé impliquées. C'est ce qui a rendu l'aventure difficile et périlleuse pour les producteurs. Il faut donner un coup de chapeau à Gaspard de Chavagnac qui est rentré dans cette aventure. C'est vrai que le départ a été un peu difficile, mais finalement tout s'est très bien déroulé. Parce qu'avec un budget assez modeste, on s'est peut-être donné davantage que si on avait eu des moyens, car le voyage avait tellement de force que l'on a pallié le manque de moyens par plus de générosité et de cohérence. L'équipe de la Fabrique a été formidable, on était une quinzaine, et chacun savait qu'il n'était pas question d'utiliser la 3D pour se faciliter la tâche.

A.H. : Lorsque vous commencez en 1965, qu'est ce que vous cherchez à exprimer à travers le médium animation, vous qui étiez plus passionné par le théâtre ?

JFL : C'est vrai que j'avais envie de faire du théâtre plus qu'autre chose, mais je crois que j'ai été trop timide, c'est une maladie que je me trimbale toujours. C'est un métier, même si on fait de la mise en scène ou des décors, dans lesquels il faut avoir un autre caractère. Mais dans l'école de la rue Blanche où j'étais, j'avais investi un petit théâtre où les décorateurs apprenaient la régie, c'était un théâtre de miniature, comme un castelet de marionnettes dans lequel j'ai commencé à donner des spectacles d'ombres chinoises. J'étais alors derrière le rideau, c'était plus facile pour moi. Et Jacques Colombat, qui était chez Grimault, venait de réaliser Marcel, ta mère t'appelle. Il me dit " Pourquoi ne viendrais-tu pas voir Paul, il est très disponible en ce moment, il est très accueillant ", cela s'est passé comme ça, et j'ai immédiatement réalisé un film en 1964.

A.H. : Et quel début ! Puisque dès votre premier film vous obtenez le Grand Prix au Festival d'Annecy, décerné par un jury prestigieux (Borowczyck, Brdecka, Godfrey, Kuri, Lapoujade), La Main de Jiri Trnka n'obtenant qu'un prix spécial.

JFL : Oui c'était très impressionnant, même si je ne connaissais pas grand monde car j'avais vu peu de films d'animation, je n'avais vu que quelques Trnka et Mac Laren. La pratique des ombres chinoises me faisait approcher l'animation de manière sûrement ingénue, mais avec déjà un souci de la mise en scène qui ne m'a pas quitté. Et si je commence à faire un petit bilan de mes films, de plus en plus avec les longs métrages, j'ai dirigé mon travail vers la mise en scène et un langage plus cinématographique que graphique. Je pense que maintenant j'accorde plus d'importance aux problèmes de relations entre un plan et un autre, qu'à la beauté d'une image. Je crois que c'est Mc Laren qui disait que l'important dans l'animation , ce n'est pas l'image, mais la bande noire qu'il y a entre les images, et je trouve cela merveilleux.

A.H. : C'est d'ailleurs ce que vous regrettez un peu dans Gwen ?

JFL : Oui, à l'époque j'étais encore court-métrage. J'ai fait Gwen comme un court-métrage, avec qui plus est une équipe qui m'avait rejoint et qui était constituée uniquement de réalisateurs de court. Par la suite, je me suis dit qu'il fallait que je fasse attention, car bien sûr nous parlons d'animation. Mais la vraie différence se situe entre le court métrage et le long métrage. Car à partir du moment où j'ai fait des long-métrages, j'ai eu l'impression de changer de métier. Aujourd'hui, le long-métrage est heureusement en train d'évoluer vers un plus grand public grâce aux japonais et un tas d'autres choses. On s'adresse maintenant à un public qui ne veut pas voir que de belles images. Ce public veut surtout qu'on lui raconte une histoire. Alors que dans les courts, on peut faire des œuvres tout à fait personnelles, voire même abstraites, cela s'adresse plus à un public d'initiés. C'est dommage mais c'est comme ça, on voit les court-métrages uniquement dans les festivals et à la télévision à deux heures du matin. Donc on doit aborder le long-métrage, selon moi, de manière totalement différente. A tel point qu'à partir du moment où j'ai commencé à faire des films longs, je ne me considérais plus comme obligé de proposer mon propre style - j'avais pas vraiment de style, mais dans le court, j'avais un façon de dessiner qui était reconnaissable. Mais lorsqu'on s'engage plus dans la narration, il faut confier la responsabilité graphique à un artiste - je me sens alors plus libre, plus heureux ; le long métrage est vraiment une création collective.

A.H. : En 1978, vous obtenez la Palme d'Or à Cannes et le César pour La Traversée de l'Atlantique à la Rame . Et à partir de ce moment, vous créez la Fabrique, et Gwen entre en production. C'est un tournant. Est-ce que le court-métrage vous avait tout donné ?

JFL : Oui, mais surtout, j'avais envie de travailler en équipe. Je ne me sentais plus le courage de faire des films tout seul. La Traversée de l'Atlantique est un film long qui fait plus de vingt minutes. Et j'ai passé plus d'un an et demi tout seul.

A.H. : Les producteurs on dû être surpris par Gwen ?

JFL : Oui, il y avait un total malentendu avec les producteurs, notamment Gaumont. Mais on a joué sur ce malentendu car on a fait ce film avec tellement de cœur qu'il nous semblait évident que le public aurait envie de le voir.

A.H. : Il y a quinze ans entre Gwen et Le Château des Singes...

JFL : Oui, car il fallait s'occuper avant tout de la Fabrique. Nous avons beaucoup produit pour la télévision. Ce qui ne nous laissait pas beaucoup de temps pour les projets personnels.

A.H. : En revoyant Le Château des Singes, on se rend compte de l'extrême qualité des décors, de la cohérence du récit, mais à l'époque de sa sortie nous avons été nombreux a être déconcertés par les chansons.

JFL : Peut-être que vous avez raison, mais je suis un fou de comédie musicale. Certes dans Le Château des Singes, c'est fait de façon un peu maladroite car ce n'est pas une comédie musicale et la dramaturgie n'était pas faite pour amener les chansons. C'était sans doute une erreur de ma part, mais c'est avant tout un film fait pour les enfants, et celui-ci a fait une carrière formidable auprès d'eux, et ce notamment grâce aux chansons. Beaucoup de gens ont critiqué le film en oubliant leur esprit d'enfant. Avec les producteurs on s'était dit qu'avec cette histoire formidable qu'on avait, il fallait tenter de faire un film différent pour les enfants.

A.H. : Vous avez travaillé avec un scénariste anglais sur Le Château des Singes. Est-ce que ça vous a aidé, au regard de l'extrême fluidité du récit de Black Mor ?

JFL : Oui, énormément. Surtout l'humilité qu'il a eu par rapport au récit. J'avais écrit cette histoire et j'y tenais beaucoup. Surtout ce personnage de singe confronté au racisme et à la différence. Il me proposait des situations qui, parfois, n'avaient rien à voir avec le thème. Je le lui faisais remarquer. Il me disait : " Mais oui, tu as raison ! " et aussitôt, il me proposait autre chose. Car dans cette culture de scénariste, il n'y a pas de culture d'auteur attaché à son histoire et il me faisait valoir le fait qu'une situation pouvait sembler s'éloigner du fond mais que si celle-ci fonctionnait sur le plan dramaturgique, le fond pouvait être rattrapé par la suite. Et c'est ce que j'ai essayé de faire de nouveau sur Black Mor : ajouter une scène un peu plus légère, humoristique et rattraper le fond plus tard. Si vous avez quelque chose à dire, inutile d'insister, les gens finiront bien par comprendre.

A.H. : Pour Le Château des Singes, une grande partie de l'animation a été faite en Hongrie, et pour Black Mor en Asie. Pourtant la qualité est au rendez-vous. N'est-ce pas difficile de travailler avec des équipes délocalisées ?

JFL : C'était plus facile pour Black Mor que pour le Château, car pour ce dernier, comme il s'agissait d'une co-production, le travail était partagé entre plusieurs studios. (Pays de Galles, Allemagne, Hongrie, Belgique et France ). Si tout avait été fait en Hongrie, le résultat aurait été meilleur, car ils ont des auteurs de grand talent. Pour Black Mor, tout a été fait dans le même studio en Asie, et je crois que nous nous en sommes bien tiré. Bien sûr, on préférerait faire tout chez nous, mais pour des raisons économiques, ce n'était pas possible. (le budget de Black Mor est plutôt modeste). Mais il y a aussi le problème du temps, et c'est assez égoïste de ma part, mais j'aimerais encore avoir le temps de faire plusieurs films. On a quand même mis trois ans pour faire Black Mor, dont deux pour l'animation, et je vous assure que l'on ne peut pas descendre en dessous.

A.H. :Vous faites un travail préparatoire avant le storyboard ?

JFL : En effet, à ce moment-là, ce n'est pas vraiment un storyboard, c'est un espèce de machin dans lequel je change de langage, je passe de l'écrit, d'un script construit, au cinéma. Mais ce n'est pas encore un récit, ce sont des croquis infâmes (note de l'intervieweur : en fait, d'une qualité remarquable!) Des choses qui sont faites le plus rapidement possible pour essayer de garder cette fièvre qui me donne envie de vite passer au plan suivant pour suivre la scène qui se déroule devant mes yeux au moment où je la dessine. Il faut donc aller très vite. Alors que lorsqu'on fait un storyboard, il faut prendre son temps car il faut être précis. J'ai donc imaginé cette étape intermédiaire entre l'écrit et le storyboard.

A.H. : Etes-vous déjà directif dans ces croquis de départ ?

JFL : Non. Les mouvements de caméras, je ne les conçois pas beaucoup. Je sais que dans tel plan, je suis en plan large ; il est possible que je suive tel personnage en travelling avant de passer au plan fixe. Mais je ne me soucie pas de cela. Ce qui m'importe c'est ce que je veux raconter, mes premiers problèmes de cinéma sont plutôt dans l'enchaînement du récit. Après, la caméra va lier les choses entre elles. Une fois que j'ai fini tous ces croquis, je les filme avec une petite caméra vidéo. A cette étape je me sens encore en totale liberté. Après, les problèmes vont s'accumuler : il va falloir penser à tout un tas de questions techniques. Mais pour le moment tout se crée, c'est donc extrêmement jouissif ; je me sens comme un gamin. Je filme donc tout cela avec une caméra vidéo de vacances, puis, j'assemble tout avec un logiciel de montage de films de vacances. C'est donc très limité, mais cela suffit. Puis pour donner un peu de flamme, de souffle, je rajoute de la musique, puis je commence à travailler les dialogues en faisant toutes les voix moi-même. C'est une étape qui me paraît importante et je suis sûr que beaucoup de réalisateurs font ça aujourd'hui car cela permet de vérifier très vite un certain nombre de problèmes essentiels, de retravailler les dialogues, de vérifier le rythme général… car même si les dessins sont fixes, leur succession permet de donner le rythme du film, de vérifier les situations dramatiques… Le caractère des personnages se dessine déjà, même si les dessins sont grossiers, on commence à voir au bout de trois-cent cinquante dessins si le personnage a des petits yeux ou des grands yeux, s'il est petit, gros, etc… Ce travail permet d'avancer. J'ai toujours besoin d'avancer, même si le producteur n'a pas trouvé d'argent. Car tout cela, on peut le faire seul et avec peu de moyens. Cela prend quelques mois certes, mais si on arrive à décrocher une petite aide qui permet de survivre, cela permet d'avancer le film.

A.H. : Et donc, c'est grâce à cette animatique que vous avez décidé les producteurs sur Black Mór ?

JFL : Oui, en effet. Il y a donc cette première cassette, et ensuite, si l'on décroche ce financement, c'est le travail du storyboardeur qui effectue un travail minutieux qui peut prendre plusieurs mois. Et une fois le storyboard terminé, on le filme de nouveau et on y rajoute des voix travaillées par des acteurs professionnels.

A.H. : Pour Black Mor, vous êtres parti d'un récit que vous avez vous-même écrit. On y retrouve votre obsession pour la mer...

JFL : J'avais VRAIMENT envie d'une histoire qui me ramène à des histoires de gamin. J'ai eu une enfance qui était complètement tournée vers la mer, parce que j'étais loin de celle-ci : on habitait en banlieue parisienne. Mais mon père construisait des bateaux dans notre jardin qu'il ne terminait jamais. Je pense qu'il avait peur de naviguer. Moi, je ne le savais pas, je croyais qu'on allait partir. Ma mère aussi d'ailleurs ; et on était complètement tourné vers ce bateau qui ne finissait pas ainsi que vers les lectures de navigateurs et de romans de mers qui étaient dans la bibliothèque familiale. Je ne lisais que ça. Et ce n'est que plus tard que j'ai compris (et c'est souvent ce qui se passe avec son père, on s'en rend compte trop tard…) j'ai compris que le voyage qu'il nous avait promis c'était, en fait, la construction du bateau, et c'était suffisant pour lui. Donc cela se terminait ainsi : le bateau disparaissait un jour. Il était terminé sur un chantier ou peut-être finissait en petit bois chez quelqu'un. Donc, il y a ça et en plus Stevenson. Le film tourne autour du rapport au père du besoin de liberté, et surtout du désir de savoir qui on est vraiment. Dans le film, le kid est orphelin, ce qui facilite cette recherche. Mais je crois que tout adolescent à un moment donné se demande qui il est. Ce sont de multiples épreuves qui vont le lui apprendre.

A.H. : Oui, car la chasse au trésor est un peu une fausse piste. La quête est autre.

JFL : C'est exact. C'est la fameuse légèreté dont on parlait tout à l'heure. Cela me gênerait de vouloir trop insister sur la quête d'identité. Mais je suis persuadé que chez Stevenson la quête du trésor représente autre chose.

A.H. : Finalement, le vrai héros du film, plus que le Kid ou la mer, n'est-ce pas P'tit Moine, qui permet au Kid de se réaliser pleinement ?

JFL : En effet. Et la réussite de ce personnage féminin est due au fait que c'est une amie - Anik Le Ray - qui a collaboré aux dialogues avec moi et qui m'a aidé à élaborer les différents aspects de sa personnalité. P'tit moine sait qu'elle n'aura véritablement de relation avec celui qu'elle aime qu'une fois que celui-ci aura réglé les problèmes avec son père. Elle n'est donc pas désintéressée.

A.H. : Au niveau des voix, c'est la deuxième fois - après Gwen - que vous travaillez avec Michel Robin. Pour Le Château des Singes vous avez utilisé Pierre Arditi, Michael Lonsdale. Quels sont vos critères pour sélectionner les acteurs ?

JFL : Pour Kid et P'tit Moine, je n'avais pas besoin de voix connues. J'ai quand même un problème avec les stars. Cela peut-être gênant si le public reconnaît trop la voix. Cela le ramène souvent à la réalité d'un acteur qu'il connaît bien. C'est pour ça que je préfère travailler avec des comédiens de théâtre. C'est le cas ici pour Jean-Paul Roussillon ou Michel Robin. Ce ne sont pas des stars. Ce qui a été drôle pour Jean-François Derec, c'est que je n'avais pas pensé à lui, mais à Rufus. Mais ce dernier n'était pas disponible. On m'a donc proposé Jean-François Derec. Je ne regarde pas beaucoup la télé et donc je ne l'avais jamais vu. Un soir, j'allume la télé et il avait exactement la tête de ficelle. C'était incroyable. En général, lorsque je commence les voix-maquettes, je pense déjà aux comédiens, ce qui aide pour dessiner le personnage. On ne lui donne certes pas les traits de l'acteur, mais certaines expressions nous influencent.

A.H. : Vous apportez un soin particulier aux couleurs des décors…

JFL : Alors là, il faut donner un coup de chapeau à Jean-Paul Roustin. C'est un maître de la couleur. Il avait déjà travaillé sur Le Château… Il avait secondé Christian Arnaud, et je m'étais promis de retravailler avec lui. Le dessin du décor était d'abord dessiné sur du papier par Richard Mithouard. On a été en Bretagne ensemble pour prendre des exemples. Par la suite, le dessin de Richard a été scanné et la couleur est faite sur ordinateur mais avec une technique particulière ce qui fait que ma crainte que le résultat soit trop éloigné de la gouache - que je connais bien - s'est vite dissipé. On était tous tombé amoureux des peintres bretons du début du 20ème siècle et des affichistes des compagnies maritimes et du chemin de fer. Il y a un peintre très peu connu qui s'appelle Henri Rivière, peintre breton des années trente dont je doit dire que l'on s'est un peu inspiré, car ce qui m'importait, c'est le rapport entre le ciel et l'eau. Ce sont des rapports qui ne sont pas évidents. Des fois, il vaut mieux que les couleurs soient totalement différentes. Car la mer est une chose qui vous surprend toujours, et Rivière a été d'une grande justesse pour déterminer ce rapport.

A.H. : D'ailleurs dans vos films, vous avez toujours traité l'animation de la mer de manière peu conventionnelle…

JFL : Au début, lorsque je faisais du papier découpé, c'était de simples morceaux de papiers que je faisais bouger devant la caméra. C'était assez rudimentaire. Sur Black Mor, nous avons eu la chance de tomber sur une équipe qui a très bien compris mon problème : je ne voulais pas que ce soit une mer conventionnelle. Il fallait trouver l'animation qui convienne au style épuré qu'on avait mis en place. Ce que je déteste dans un dessin animé, c'est quand le mouvement n'a pas de sens. Animer ne veut pas forcément dire bouger. Il faut qu'il y ait quelque chose en plus. Des fois, il faut que ça bouge très peu pour que ça soit bien animé. Mais, bien-sûr, c'est ce qu'il y a de plus difficile à faire. Les animateurs les plus forts, notamment pour les personnages, sont ceux qui donnent au plus léger mouvement sa justesse, comme un comédien capte le public grâce à un regard, un mouvement de tête particulièrement judicieux. Evidemment, c'est ce qu'il y a de plus difficile à réaliser.

A.H. : Donc, vous allez à contre-courant de ce qui se fait aujourd'hui dans les grosses productions, notamment américaine ?

JFL : Dans lesquelles l'émotion est gâchée par le rythme. Je me rappelle avoir vu une productions Disney dans un festival. Je me suis aperçu au bout de cinq minutes que ce que je croyais être une bande-annonce était le film lui-même. Ceci dit, je suis très impressionné par le talent incroyable qu'ont les américains à nous captiver même lorsque l'histoire a peu d'intérêt. Je suis très admiratif de leur savoir-faire.

A.H. :Vous évitez un piège dans Black Mor : il n'y a pas de vrai méchant. Il est donc possible de faire un dessin animé sans vrai " vilain " ?

JFL : Oui, c'est important pour moi . Il y a une manière de traiter les " vilains " : c'est de leur donner autant de profondeur qu'aux " gentils " . Dans le Château, c'est peut-être un peu moins réussi, mais je voulais que le vilain puisse pleurer.

A.H. : Oui, et de même, les personnages dits " gentils " peuvent avoir leur côté obscur (la trahison des trois compères, le Kid qui ne pense qu'à son aventure sans se soucier des autres).

JFL : Sinon cela n'a pas d'intérêt. On fait des caricatures. Mais là, on fait un film. Les personnages doivent être vraisemblables.

A.H. : La musique est très surprenante…

JFL : C'est encore une belle rencontre. Un film c'est avant tout des rencontre humaines. Et avec Christophe Heral, la rencontre a été belle. Il a rapidement compris que je ne voulais surtout pas d'une musique spectaculaire. On s'est alors dit qu'on allait faire un film de pirate pour quatuor à cordes. Et c'est ce qu'il a fait.

A.H. : Vous êtes déjà en préparation de votre prochain film (Le Tableau) ?

JFL : Ce sera un mélange entre film d'animation et prises de vue réelles car je sens pour la première fois que l'histoire permet le mélange de ces deux techniques très contradictoires. Pour moi, ce mélange doit se justifier. L'histoire n'est pas de moi, mais d'Anik Le Ray et c'est un projet qui m'excite beaucoup. Le passage entre la peinture - ça va être de la peinture à l'huile animée - et l'atelier d'artiste en prise de vue réelle, est un vrai pari pour moi. Ce n'est pas un effet. Je déteste le mélange technique pour faire un effet. La première étape est presque finie, mais je n'ai pas encore filmé mes croquis. J'en suis pour l'instant à six dessins par page, ce qui est insuffisant pour la durée du film, il va falloir que je rajoute pas mal de dessins.

A.H. : Merci beaucoup.

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