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Alexis Hunot : Pouvez-vous nous raconter l'histoire de votre studio Folimage et de son extraordinaire réussite ?

Jacques-Remy Girerd : Tout simplement, il n'y a rien de machiavélique, et je ne voyais pas tout ce qui allait se passer. Tout simplement j'ai créé Folimage il y a 20 ans parce que j'avais envie de faire des films d'animation et à cette époque là, c'était très rare qu'un producteur s'intéresse à un réalisateur d'animation et je voyais bien la difficulté de faire ces films. Il fallait donc que je sois mon propre producteur.

A.H. : Donc vous avez décidé de créer Folimage ?

JRG : J'ai entraîné avec moi à l'époque quelques copains autour de moi, dont quelques uns sont d'ailleurs toujours présent : le musicien Serge Besset qui écrit la musique de tous mes films, dont celui-ci et qui fera le prochain. Et un autre copain Pascal Lenotre qui a lui rejoint Folimage il y a quelques années et qui fait Hilltop, et quelques autres, mais s'était avant tout une histoire de copain.

A.H. : Vous venez de parler de la série Hilltop qui marche très bien. Est-ce grâce à des séries comme celle-ci que vous avez pu réaliser ce premier long métrage ?

JRG : Non je ne crois pas que ce soit lié. C'est une suite logique des choses, car après avoir fait des séries comme Ma Planète Chérie ou Le Bonheur de la vie, nous avons fait un moyen métrage : L'Enfant au Grelot, qui est sorti au cinéma et qui a attiré environ 330 000 spectateurs. Et là on se dit qu'il y a quelque chose, en plus on a le retour des exploitants, du public. Moi au début je n'y croyais pas tellement, c'était hors de portée. Et puis c'est au moment de faire un nouveau moyen métrage que l'on s'est rendu compte qu'on se devait d'en faire un long. Non, Hilltop c'est vraiment un autre secteur de Folimage qui d'ailleurs peut-être un jour nous conduira à faire un long en volume. Mais pour la prophétie c'est vraiment l'histoire qui nous a poussé à faire ce long.

A.H. : D'ailleurs vous parlez des séries produites par Folimage, et l'on retrouve dans la Prophétie cette volonté de traiter de sujets importants ?

JRG : Bien sur la santé, l'hygiène, l'écologie, la sexualité , comme dans Le Bonheur de la vie. Le fond m'intéresse ; Faire des films c'est aussi parler de son temps, pour moi c'est un acte militant, politique. Nous ne sommes pas que dans le divertissement, même si cela est aussi important.

A.H. : Il y a ce moment très intéressant, très pédagogique dans lequel Ferdinand explique la création du monde de manière très scientifique...

JRG : Je crois qu'il était important de traiter ce thème autrement que sous l'optique de l'explication biblique. Et puis ce sont des thèmes qui m'intéressent, qui me traversent qui me transpercent. Faire des films c'est entrer en phase avec les idées que l'on a pour pouvoir mieux les faire passer. Je me suis toujours défini comme un militant de l'animation, pour dire des choses car on a la chance de pouvoir parler aux enfants de participer à la formation de leur structure mentale. C'est pour cela qu'il faut donner du sens aux films que l'on fait.

A.H. : Et en cela vous êtes proche des films de Miyazaki, et Takahata ?

JRG : On peut dire cela même si je connais, comme beaucoup de gens, leurs films que depuis très peu de temps. Et bien sûr je ne me sens pas déphasé avec ce cinéma , alors qu'il y a une certaine cinématographie dont je ne me sens de la même veine. Mais j'essaye surtout de participer à quelque chose de vrai, de sincère, et donc certaines fois on croise le chemin de personnes pour lesquelles on a plus d'amitié que pour d'autres.

A.H. : Ce qui est surprenant c'est que depuis l'avènement mondial de ces deux auteurs, les longs métrages traitent plus de sujets sérieux.

JRG : Oui on sort de la mièvrerie du film pour enfants. Lors des premières projections de la Prophétie je me suis rendu compte que beaucoup d'adultes appréciaient le film autant que les enfants. L'idée est de ne pas formater les films. On ne fait pas des films pour des tranches d'âges comme peuvent le faire les Américains. Un film d'animation c'est un film comme les autres.

A.H. : Il est positif que maintenant les longs métrages reflètent ça aussi, car à la différence des courts métrages que l'on peut voir en festival, les longs sont vus par tout le monde.

JRG : Oui mais il faut dire que l'on sort d'un long tunnel. Pendant plus de vingt ans il a été très difficile de tourner des longs métrages. Et Michel Ocelot et son Kirikou en cela ont ouvert des portes.

A.H. : Et donc lorsqu'on commence un long métrage comme la Prophétie, est-ce-qu'on pense d'abord au financement ou au scénario ?

JRG : A Folimage on est quand même maintenant habitués à gérer le financement d'un projet, et c'est pour ça qu'on existe encore. On sait réunir un budget pour faire un film. On a cette culture : on n'a pas fait un premier long métrage en partant de rien. L'expérience qu'on a acquise sur Hilltop nous a bien sûr servi. On s'est rendu compte rapidement que produire un long métrage n'était pas si différent d'une série ou d'un moyen métrage. Donc bien sûr l'argent c'est important, mais l'histoire reste le moteur de tout.

A.H. : Hilltop, qui est une série de commande, a du vous aider dans le travail de financement de la Prophétie

JRG : Hilltop n'est pas vraiment une série de commande. Lors d'un festival on a rencontré les créateurs qui voulaient travailler avec nous, et donc nous sommes en coproduction sur la série. […]

A.H. : Pour revenir à la Prophétie, il y a eu un long travail d'écriture.

JRG : En effet, j'ai d'abord écrit seul, ensuite nous avons travaillé à trois pour essayer de peaufiner le premier traitement. C'est avant tout un vrai travail d'auteur. Il faut sans cesse revenir sur le texte. J'ai d'ailleurs fait six animatiques pour mieux me rendre compte de ce qui fonctionnait dans le texte et ce qui ne fonctionnait pas. Cela permet de jeter des idées, de réécrire des dialogues, c'est ce qui rend le travail très long mais plus efficace.

A.H. : Pourquoi avez-vous demandé à Iouri Tcherenkov de faire le graphisme du film, lui qui a un graphisme si particulier ?

JRG : Je ne me suis pas tellement posé la question. Iouri travaille depuis des années à Folimage, on a d'abord travaillé ensemble sur le scénario, puis il m'a paru évident qu'il avait la sensibilité pour trouver le graphisme qui irait avec l'histoire. Cela n'a pas été évident au début, car une grande partie de l'équipe n'était pas convaincue que l'on puisse adapter le graphisme de Iouri au long métrage. Mais rapidement tout le monde s'est plié à ce graphisme particulier, et le film fonctionne très bien.

A.H. : D'ailleurs, tout le monde a participé à la conception du film au sein de Folimage, et l'on retrouve même Michaël Dudok de Witt, réalisateur du Moine et le Poisson et Père et Fille, et qui a animé les deux éléphants.

JRG : Oui bien sûr, et il y a même d'autres gens que l'on connaît moins, je crois que tout le monde a servi le texte, comme Iouri.

A.H. : Ce qui est surprenant, c'est qu'il y a vraiment une " manière de faire " Folimage...

JRG : Oui, c'est vrai. Malgré les différents graphismes propres à chaque auteur, que l'on voit un film de Jean-Loup Felicioli, d'Alain Gagnol, de Benoît Chieux ou de Iouri, on sait que c'est un film Folimage.

A.H. : Vous nous avez parlé des animatiques. L'importance du storyboard est fondamentale en animation. Qui a créé celui de la Prophétie ?

JRG : C'est Iouri qui l'a créé. Je pense qu'il est important que celui qui crée le graphisme soit aussi l'auteur du storyboard. D'ailleurs le storyboard avait été présenté lors d'une exposition au Festival d'Annecy, et il est surprenant aujourd'hui de voir les différences entre le storyboard d'origine et le film fini. Chez moi, le storyboard est une base de départ, de laquelle on peut s'éloigner. Il n'y a rien de définitif. Tout se fait ensuite entre l'animateur et moi. C'est lors de discussions que l'on décide du mouvement de caméra ou de tout autre chose.

A.H. : En plus de la parfaite réussite du graphisme et de l'animation, le travail sur les voix est excellent. Comment l'avez vous travaillé ?

JRG : Pour beaucoup de personnages, j'avais déjà une voix d'acteur en tête. Ensuite, je double chaque personnage moi-même en prenant les intonations qui me plaisent. Les voix sont toujours difficiles à choisir. Pour les enfants par exemple, j'avais déjà la voix de la fillette, et il fallait donc trouver celle du garçon. Mais à cet âge là, les voix peuvent être assez semblable. Il fallait non seulement un garçon qui sache jouer, et qu'en plus on puisse bien distinguer les deux voix.

A.H. : Le casting est à la hauteur du film, n'est-il pas trop difficile de travailler avec des acteurs aussi prestigieux ?

JRG : Non car je savais exactement ce que je voulais, quitte à refaire les prises. Tous ces acteurs sont très professionnels. Quelqu'un comme Galabru a très bien su s'approprier le texte que j'avais écrit pour lui.

A.H. : Les carnivores sur le bateau sont particulièrement réussis, oscillant entre leur faim carnassière et leur esprit de solidarité. En revanche, les " vrais " méchants sont un peu moins réussis. Selon vous, un film doit-il forcément comporter des méchants ?

JRG : En effet la question peut se poser. Mais l'idée est que le méchant principal veut se venger des atrocités que l'être humain lui a fait subir. C'est vrai qu'on peut se demander si un film a besoin absolument du contre-poids des méchants.

A.H. : Vous travaillez déjà sur votre prochain film avant même de savoir si celui-ci sera un succès ou pas.

JRG : Oui, je travaille déjà sur le prochain, que j'ai commencé à écrire il y a plus d'un an. . .

A.H. : Merci...

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