Paris, mars 2005

 

 

Alexis Hunot : On sait que vous aimez beaucoup vos personnages. C’est le 3ème épisode de la nounou. Qu’est-ce que vous aimez particulièrement dans ce personnage ?

Garri Bardine : C’est parce qu’elle est plus grande que le petit garçon par sa taille, mais dans son esprit elle est très proche de lui ! C’est pour ça qu’elle est son amie, ils sont à égalité. Finalement elle est aussi bête que lui !

Oui mais elle est très attendrissante !

C'est vrai, et c’est ce dont le petit garçon a besoin. Car finalement il y a beaucoup d’intellectuels autour de lui et peu de gens aimants.

Et c’est un peu ce que vous voulez donner aux spectateurs…

Oui. Mais j’ai surtout envie de transmettre aux enfants l’envie de créer leurs propres nounous ! Lorsque je suis venu en France pour présenter la première Nounou, c’était à Rennes ou à Nantes, les enfants étaient préparés à me rencontrer, ils avaient vu le film en VHS. Et lorsqu’ils sont arrivés à ma rencontre dans une salle de cinéma, ils avaient amené leurs propres nounous. Et je peux vous dire que les parents n’avaient pas lésiné sur les oreillers !! Tout ça en tout cas était très attendrissant ! Je suis donc content car ce personnage que j’ai créé a trouvé un écho dans le cœur des enfants. J’ai même une amie dont la petite fille refuse désormais de dormir sur son oreiller car elle dit qu’elle ne veut pas dormir sur sa nounou !

Dans La Nounou 3 votre mise en scène est plus virtuose, et ça dès la première scène avec le jeu des portes, digne d’un Tex Avery !

En fait je considérais que ce film s’adressait à des gens qui connaissaient déjà les deux premiers épisodes de la Nounou. Cela me permettait donc de rentrer plus rapidement dans l’histoire sans carte de visite. Et puis surtout une fois que j’avais choisi la musique (Carmen), je ne pouvais pas en donner une interprétation trop simple. Et cela m’a donné beaucoup de mal ! Mais l’important c’est que l’on ne voit pas la sueur à l’écran ! Il faut que cela ait l’air léger et facile. Si j’ai réussi cela c’est bien !

Quel est votre cheminement créatif dans la réalisation d’un film comme La Nounou 3 ?

D’abord il y a l’idée, après le scénario et ensuite je cherche dans ma mémoire la musique qui lui correspond. Après il faut disséquer tout ça en petit morceaux, pour voir si ça fonctionne. Pour lui redonner de nouveau un ensemble. Et le principal pour moi c’est que ce que j’ai imaginé au début se réalise à la fin. Et si je n’ai rien perdu en chemin c’est que j’ai réussi à ne faire aucun compromis !

Ce qui ne doit pas être facile, vu que vous n’êtes pas animateur vous-même et qu’il faut vous en remettre à eux !

C’est vrai. Et d’ailleurs des fois j’aimerais bien apprendre à animer moi-même. Mais j’ai compris que si je le faisais moi-même, je serais au final mécontent de tous les autres animateurs, car j’aimerais qu’ils donnent toujours plus. J’ai donc décidé de mettre cela de côté pour me consacrer à la réalisation.

Mais alors comment se passe l’interaction avec les animateurs pour passer vos idéesà travers le storyboard ?

Sur la base de mon histoire j’écris un scénario très détaillé , et en décrivant chaque séquence je pose mes cadres. A partir de ce moment mon directeur artistique va dessiner, créer l’univers que j’ai inventé. Ensuite il peut alors dessiner le storyboard. Ensuite ils vont créer les personnages et les décors pour de vrai. Et quand les manipulateurs sont prêts à travailler, quand le film est chargé dans la caméra, j’amène tout le monde dans la salle de montage. Là on écoute le montage musical de la scène que nous allons tourner. On crée alors des « documents d’expression » correspondant à des points importants dans la scène, en parallèle avec la musique. C'est-à-dire que je décris très précisément à l’animateur comment je vois la scène en rapport avec la musique : là elle éternue, à ce moment de la musique le petit garçon s’envole, là il butte contre le mur... Je décris le caractère du mouvement de la scène telle que je la vois. Puis l’animateur rentre dans le studio. Et là c’est la partie la plus intime, il ferme les portes. Et c’est la relation privilégiée entre l’animateur et la marionnette. Il peut alors tourner pendant deux jours la scène que je lui ai décrite. Et... il vaut mieux ne pas venir les asticoter ! Car elles (Garri bardine travaille avec des animatrices) deviennent des mégères. Les opérateurs les surnomment, affectueusement, « nos Piranhas » ! Elles sont tellement concentrés sur les mouvements qu’elles ont en tête !! De plus il faut qu’elles les gardent pendant deux jours au ralenti dans leurs tête. Elles ont autour d’elles une vie à 24 images par secondes mais elles vivent dans un autre espace. C’est une profession très difficile !

En fait vous donnez les poses clés de l’animation...

De toute façon c’est le réalisateur qui donne le La, le caractère du mouvement, la teinte émotionnelle de la scène, tout cela est décrit par le réalisateur.

Quand le réalisateur est aussi l’auteur !

Non je pense qu’un vrai réalisateur doit savoir.

Comment choisissez vous de quelles textures et de quels styles seront faites telle ou telle marionnette ?

Les marionnettes sont toutes faites de la même manière. D’abord la construction, ensuite du polystyrène et par-dessus le tissu. Pour le petit garçon il a un visage en plastique. Mais bien sur les expressions des visages sont sculptés par l’animateur avec de la pâte à modeler. Et pour les bouger ils sont tellement petits que l’on utilisent des instruments de dentistes !
En ce qui concerne les styles différents ou le choix de tel ou tel tissu, je décide comme cela, ce sont sûrement les mystères de la création, je ne pourrais pas donner d’explication.

Vous avez été tout d’abord comédien puis metteur en scène pour un théâtre de marionnettes. Dans cet épisode de la Nounou cette dernière expérience se sent particulièrement notamment parce qu’une grande partie de film se passe à l’intérieur de la maison…

Je ne sais pas car j’ai peu travaillé au théâtre. Mais vous avez raison pour l’espace cloîtré de la maison dans La Nounou 3. Mais en même temps je voulais qu’à cet espace fermé répondent beaucoup d’autres espaces d’où la course dans la maison au début, et puis la scène dans le parc, les bois et la carrière. Même si ces scènes sont très rapides ! Et pour cela il a même fallu créer des décors très complexes qui nous ont très peu servi . Dans la scène où le chien regarde en bas dans la carrière la vache et le petit garçon je voulais absolument cette carrière, pourtant je n’en avais besoin que pour cette scène. Et mon directeur artistique me poursuivait tout le temps en me demandant si je tenais vraiment à tourner cette scène de cette manière là. Pourquoi faire cette scène dans ce grand décor... Finalement je suis content qu’on l’ait fait !

Dans ce film le rythme est beaucoup plus rapide que dans vos autres films, même Le Chat Botté ou Le Petit Chaperon Rouge...

Il y a en effet beaucoup plus de montage. On est presque à un montage de clip. La musique demandait plus d’expressions des personnages, plus de vivacité et donc un montage serré.

Je suppose que vous devez pousser vos animateurs à plus de perfection ?

Bien sûr c’est difficile pour eux de travailler pour moi. Je les pousse à chaque fois dans leurs retranchements pour aller dans des milieux différents. Mais c’est aussi intéressant pour eux de travailler avec moi (je vais me permettre de ne pas être modeste mais on ne s’ennuie pas avec moi !) Mais vous savez plus les personnes sont talentueuses plus elles sont difficiles à gérer, parce que si je les écoutais toutes, même si je le fais quand même de temps en temps, j’aurais autant de films que de personnes dans mon studio. Mon objectif à moi et de tout tenir ensemble, de manière à ce que nous travaillions tous dans un esprit de corps. Il est important pour moi que ce ne soit pas de simples exécutants.

Est-ce que vous choisissez votre technique avant l’histoire ou l’inverse ?

Cela dépend : une fois l’un une fois l’autre ! Si j’avais la recette je l’écrirais ! A chaque fois que je finis un film j’ai l’impression que je ne pourrais rien inventer de nouveau, parce que l’on se donne entièrement lorsqu’on fait un film. Après j’ai une période de dépression et je n’envie pas mes proches. Mais à la suite quelque chose revient à la surface et la vie continue.
Pour Adagio par exemple, cela faisait longtemps que je voulais travailler avec du papier mais je n’avais pas d’idées. Comme tout le monde la situation du monde actuel m’inquiète, l’absence de tolérance etc..., et je voulais savoir comment l’exprimer mais sans vouloir donner de leçon, je serais naïf et bête de croire qu’un film peut arranger les choses, mais il n’empêche que je dois raconter les choses qui m’inquiètent. L’idée m’est venue de l’utilisation que je voulais faire du papier dans mon animation.

Vous êtes un phénomène, l’un des derniers réalisateurs travaillant en Russie (Petrov est au Canada, Tcherenkov en France..)

Bronzit est en Russie, Petrov est revenu en Russie ! C’est vrai que Tcherenkov est en France. J’ai d’ailleurs une anecdote avec ce dernier. Lorsque j’ai été chez lui à Valence il n’y a pas longtemps il m’a raconté que c’est après une projection du Petit Chaperon Rouge qu’il a eu envie de se lancer dans l’animation, et avec cet interview je lui envoie un petit salut !

Comment réussissez à produire vous films ? Avec des publicités ?

Il fut un temps oui, mais je n’ai plus de commandes, si on me le proposait je ne refuserais pas ! Mais heureusement le gouvernement et la ville de Moscou nous aident beaucoup moi et mon studio.

Pourquoi avez-vous decliné l’offre des Studios Disney de venir travailler pour eux en 1992 ?

J’avais déjà un studio avec une équipe qui travaillait pour moi. Et j’ai été invité seul. Si j’étais parti j’aurais trahi mon équipe. Car comme le dit St Exupery « Tu es responsable de ceux à qui tu as donné une mission ».

Pouvez vous nous raconter l’histoire de la plasticine d’Ardmaan ?

C’est lors du festival d’Annecy en 91 nous étions en compétition Nick Park et moi. Nous nous sommes rencontrés, et je lui ai demandé avec quelle pâte à modeler il travaillait. Il m’a dit que c’était de l’anglaise et de l’américaine. Et il m’a promis de m’envoyer un échantillon à Moscou. Un mois après j’ai reçu un colis de 9kg de pâte à modeler. Cela m’a permis de tourner plusieurs scènes du Chat Botté. C’est pour cela que Nick Park est remercié au générique !

A ce propos, quand allez-vous revenir à la pâte a modeler ?

Dans mon prochain film !

Trois épisodes de 30 minutes de La Nounou cela fait 90 minutes... Quand allez-vous faire un long métrage ?

Mon prochain film est justement un long métrage. Mais il est encore un peu tôt pour en parler...

Merci...

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