Alexis Hunot : Vous êtes, à la base, un « Mecha designer » (dessinateur spécialisé dans tous ce qui est mécanique et notamment les robots), est-ce cela qui vous a plu dans Appleseed, le manga de Masamune Shirow ?
Shinji Aramaki : Oui bien sûr, au départ si j’ai lu ses mangas c’est à cause de son travail : au niveau de tout ce qui est mécanique il a un dessin très précis !
De plus l’univers de Shirow est très large et il permet sans doute à des réalisateurs aussi différents que Mamoru Oshii ou vous de pouvoir vous exprimer à votre manière...
J’ai bien sûr beaucoup d’admiration pour Mamoru Oshiii qui a une longue carrière derrière lui mais comme vous le dites nous n’avons vraiment pas la même manière de travailler. Dans la réalisation de ce film pour moi il était important de montrer ce que j’aime dans l’œuvre de Shirow, aussi bien dans le dessin que dans l’histoire. Je suis donc resté le plus fidèle possible à l’univers de ses mangas.
Comment avez-vous décidé de l’histoire du film, le manga se déroulant sur 4 volumes…
...et encore l’histoire n’est pas terminée ! Le premier volume est sorti en 1985 au Japon, il y a eu 4 volumes, Shirow aurait dit qu’il pourrait y avoir dix volumes en tout, mais il n’a rien publié depuis 1989 ! Ce que j’ai essayé de faire c’est prendre les principaux éléments de l’œuvre originale et de décider d’une fin. Cela n’a pas été facile mais cela fait plus de dix ans que je lis cette œuvre plusieurs fois et donc je savais vraiment ce que j’avais envie de faire avec.
Justement, comment fait-on pour passer du manga qui est inanimé et sans volume, au film ? Comment réussit-on à insuffler le mouvement dans le manga ? Est-ce à travers le scénario ou à travers le storyboard ?
On a d’abord décidé de l’histoire dans ses grandes ligne, sans la fin, et après on a choisi de montrer certaines scènes importantes sur le plan visuel caractéristiques de l’œuvre de Shirow. En fait j ’avais l’impression de faire un puzzle, mais pour nous il était important de rester fidèle à son univers et de bien faire comprendre cela aux producteurs et à l’équipe. J’ai donc créé le storyboard avant que le scénario soit fini.
Pour vous qui connaissiez bien le manga, vous semblait-il évident que le traitement de l’animation devait être particulier pour mieux adapter le manga ?
Comme vous dites les dessins dans les mangas sont planes, sans dimension. Pourtant les dessins de Shirow donnent vraiment une impression de volume, et il paraissait naturel pour les adapter que nous utilisions l’ordinateur pour un rendu 3D. Dès le départ la 3D s’est imposée, c’est la meilleure manière d’adapter le manga de Shirow, d’ailleurs ce dernier désirait que son manga soit adapté en animation par ordinateur...
Mais pourquoi finalement avoir adopté ce mélange entre l’ordinateur 2D et 3D ? Et notamment l’utilisation du "toon shading", ce qui fait que les décors sont en 3D et les personnages en 2D… Pourquoi avoir choisi cette approche technique en particulier ?
En fait je ne voulais pas utiliser le toon shading pour tous les éléments du film, et je ne voulais pas avoir le même rendu sur les personnages et sur les Mechas, ce qui est sûrement du à mon expérience de designer de Mecha ! Grâce à la 3D les mechas sont très réalistes et c'était un de mes objectifs ! En fait les personnages ont un rendu 2D, les décors un rendu 3D très réaliste, quant au mécha ils ont certes un rendu 3D très réaliste mais j’ai quand même dessiné un contour noir autour d’eux, ce qui les situe à mi-chemin entre le réalisme et le manga. Je tenais à cette distinction entre les différents personnages du film.
Vous dites que vous vouliez que les personnages ne soient pas trop réalistes mais vous utilisez la motion capture..
Pour vous parler franchement la motion capture a été utilisée dans Appleseed car elle nous a permis de travailler vite. Et aussi comme je voulais que le look soit bien différent du dessin sur cellulo, la motion capture et le toon shading m’ont permis de créer un look différents de ce qui se faisait déjà.
Est-ce que vous n’aviez pas peur de dérouter le public en utilisant un procédé plutôt utilisé dans le jeu vidéo jusqu’à présent, et que ce contraste entre 2D et 3D puisse un peu lasser les gens sur la durée d’un long métrage ?
Oui bien sûr et on me l’a fait remarquer pendant le tournage... Pourtant moi j’ai juste l’impression d’accentuer ce qui se fait en animation traditionnelle avec des personnages assez plats et des décors que l’on dessine le plus en volume possible. Pour moi le plus important était que l’on ait le sentiment que les décors, les personnages et les mechas appartiennent au même univers. Pour cela j’ai essayé d’utiliser le plus souvent possible des mouvements de caméra assez lents pour bien faire comprendre que tout cela n’était qu’un seul et même univers.
Vous jouez beaucoup sur les contrastes aussi bien au niveau de l’histoire, qu’au niveau de la mise en scène…
Je pense que c’est la base de la réalisation de tous les films d’anticipation, j’ai juste fait en sorte que les spectateurs ne s’ennuient pas, et les scènes psychologiques entre les personnages - qui sont nombreuses dans le film - sont contrastées avec les scènes d’action.
C’est un film finalement assez pessimiste sur l’être humain.
Certes mais là aussi j’ai essayé de contrebalancer ce pessimisme par les personnages de Dunan et Biareos. Notamment avec la lutte de Dunan, j’ai beaucoup travaillé sur ce personnage afin que le spectateur puisse s’identifier à son combat et aux changements qu’elle subit tout au long du film, j’espère qu’elle apporte un message plus optimiste.
La suite d’Appleseed est déjà programmée, et c’est John Woo qui va la produire. Ne craignez-vous pas que sa forte personnalité ne fasse de l’ombre au film ?
C’est vrai qu’au tout début j’ai été un peu inquiet mais depuis j’ai parlé très longuement avec lui et je suis rassuré. J e pense que cela est une très bonne chose pour moi et pour le film. Je suis très excité car je ne sais pas vraiment ce qu’il va se passer !
Merci.
Interview réalisée lors du Festival d'Annecy 2005.
Remerciements à Aurélie Lebrun (Kaze) |